Avec le passage de l’argentique au numérique, on pensait s’être débarrassé de la chimie. On a cru révolu le temps où la photographie polluait la planète parce que les laboratoires et les particuliers déversaient dans la nature les bains de révélateur et de fixateur, dégageant leur odeur âcre, chargés qu’ils étaient de thiosulfate et autres produits plus ou moins toxiques. C’était le temps où la photographie requérait du minerai d’argent, du nitrate, parfois de l’or ou du platine. Avec l’arrivée du numérique semblait s’évanouir toute cette industrie salissante. La photographie n’avait plus d’odeur.
Mais un fléau en remplaçant un autre, voilà que l’image technique utilise désormais du lithium, des métaux précieux et quantité d’électricité pour faire tourner les serveurs. Son impact sur la planète n’est certes plus le même et il tend à s’effacer en se confondant avec celui de l’industrie du numérique. Mais il est bien réel. Le nitrate, le soufre et l’argent,nécessaires à la chimie photographique d’autrefois, ont été remplacés par l’extraction d’autres métaux, parfois sur les mêmes sites où un siècle auparavant se creusaient les mines à ciel ouvert. Le désert d’Atacama au Chili en est un bon exemple, comme la Nouvelle-Calédonie, où l’extraction de lithium se fait parallèlement au creusement des mines de nickel. La Chine n’est pas en reste, bien sûr, qui fournit aujourd’hui une bonne partie des matières premières pour la production des batteries et des puces électroniques.
S’interroger sur les liens entre la photographie et l’écologie, c’est tenir compte de cette histoire de l’exploitation des matières premières nécessaires à l’industrie des images. La conscience écologique ne s’exempte pas de la critique du médium, que les représentations idéalisées d’une nature vierge, servant bien souvent d’alibi à la communication verte des grands groupes industriels, autant que les vues mêmes entendant dénoncer les atteintes à l’environnement, ne sauraient faire oublier. La photographie est partie prenante de cette modernité extractiviste qui a conduit à la crise climatique que nous vivons. Aussi est-il capital de mener de front les deux projets : celui d’une histoire de la dimension visuelle des consciences écologiques et celui d’une histoire écologique de la culture visuelle. La première s’attache à comprendre comment naissent et se renouvellent les motifs de l’attachement à la « nature », les témoignages visuels de la crise climatique, les expérimentations faites à l’aide de la photographie pour accompagner les botanistes et autres scientifiques pour comprendre l’équilibre des écosystèmes. La seconde explore une histoire critique de l’implication de l’image dans la domestication et la destruction de l’environnement. Elle s’attache pour cette raison à une histoire matérielle de la photographie qui donne une large part à son empreinte écologique.
Référence : La rédaction, « Éditorial », Transbordeur. Photographie histoire société, no 8, 2024, pp. 2-3.